Mes parents lisaient très souvent pour ma sœur Ingunn Julie et moi un livre formidable qu’on appelait STOREBOKEN (le grand livre). Ce livre représentait l’age d’or norvégien et racontait entre autres des histoires et des contes populaires recueils par Asbjørnsen & Moe au milieu du 19e siècle, formidablement bien illustré par Theodor Kittelsen. Nous connaissions par cœur ce livre géant, parfois nous avions même peur de tourner la page en sachant que derrière se cachait une image terrifiante.
Nous voyagions et rêvions avec les contes des pauvres paysans, des petits diables et des créatures souterraines de toutes sortes, des rois, des princesses et des trolls. Cette formidable panoplie de personnages et de créatures formait un monde en soi. Les trolls, les hulders, nøkken et fanden devenaient bien réels. Aujourd’hui il me semble que tant que l’on reste respectueux envers nos traditions et que l’on ne vexe pas ces créatures, nos deux mondes peuvent coexister et même se convoiter. D’ailleurs, Henrik Ibsen avait la preuve que ces créatures étaient bien réelles *.
Edvard Grieg et sa musique a aussi largement participé à la construction d’une identité spécifiquement norvégienne. Il a, comme Béla Bartok et Zoltán Kodály en Hongrie, Manuel de Falla en Espagne, Heitor Villa Lobos au Brésil traduit l’âme de la musique populaire en langage « savante ». Par le biais de ses compositions classiques (national romantique), notre musique traditionnelle s’est introduite dans le monde entier. Aujourd’hui, la musique de Grieg est la manifestation même de notre identité Scandinave. Avec la pièce de théâtre et la musique de « Peer Gynt« (Ibsen / Grieg) nos traditions populaires sont ainsi mises en évidence. Aussi bien Ibsen que Grieg ont passé beaucoup d’années en Europe, et vraisemblablement, leurs nombreux voyages les ont incité à rendre hommage à leurs propres origines. Apparemment ils n’etaient pas du tout en phase dans la période de création de cette œuvre, mais ca, c’est une autre histoire, et d’ailleurs le résultat parle pour lui-même. J’ai largement puisé dans les compositions de « Peer Gynt » pour mon album « Grieg in Blue », et essaye à mon tour de respecter et de traduire une tradition toujours bien vivante.
* Ibsen se promène tranquillement avec un gentil troll dans la rue principale à Oslo pendant que la population, paniquée, fuit le géant. ( Theodor Kittelsen)